Les grandes figures des commandos Delta venaient de tous les milieux. Lâchés dans la nature avec armes, argent et droit de vie ou de mort sur leur prochain, ils étaient peu disposés à se mettre au garde-à-vous, le petit doigt sur la couture du pantalon ! Seuls, investis d'une mission, ils se sentaient des rois... Certains l'étaient. Comme Jésus de Bab-el-Oued, un chauffeur de taxi, petit, trapu, râblé, inquiétant. Il avait commencé par les plastiquages. Au coeur de Bab-el-Oued, protégé par la population des petits Blancs d'origine espagnole et maltaise, il régnait, décidait, tranchait avec une autorité souveraine. Qui aurait osé s'attaquer à Jésus de Bab-el-Oued ! Au vu et au su de tout le monde, dans un bistrot de la Baseta, il débitait, de sa main droite au doigt coupé, des pains de plastic sur le comptoir et les confiait à ses hommes.
Mais c'est dans I'opération ponctuelle que Jésus et sa troupe donnaient leur pleine mesure. Un mot du chef suffisait et la victime désignée tombait, une balle dans la tête. Quant aux musulmans, le centre de Bab-el-Oued leur était pratiquement interdit. Depuis les ratonnades de septembre à Oran et à Alger, provoquées par l'assassinat à Oran d'un coiffeur juif le jour de l'an israélite, un climat de racisme et de violence extrême régnait sur le quartier populaire, climat que Jésus entretenait à plaisir. Leurs crimes seront si nombreux que même les membres des autres commandos Delta les leur reprocheront.